SUN DOG
BELGIQUE / 2019 / 20 min / 27 ans
Fedor est un jeune serrurier de Marmansk, métropole sombre de la Russie arctique. Venant en aide à ses clients, il déambule dans les rues animé par un fantasme qui l’isole de la ville et de ses habitants. Et si un deuxième soleil se levait au dessus de l’arctique ?
INTERVIEW DU RÉALISATEUR DORIAN JESPERS
Dans quel cadre Sun Dog a t-il été réalisé ?
Il s’agit d’un projet réalisé en tant qu’étudiant à l’académie des beaux-arts de Gand (KASK).
Votre film est baigné d’un mystère qui nous accompagne bien après la vision. Parmi les interrogations naissantes, la première serait : Qu’est-ce qui pousse un réalisateur d’école belge à réaliser un film à Mourmansk, une ville du Nord de la Russie ? Qu’est-ce qui a donné naissance à cette histoire et à ce film ?
Je n’étais pas réalisateur à l’époque. J’étais opérateur image en formation et j’avais déjà travaillé à plusieurs reprises en Russie.
Après l’un de ces tournages, après une fête à Moscou, je me suis réveillé dans un train en direction de l’Arctique. Je n’avais plus de portefeuille et ne parlais toujours pas russe.
Sur place j’ai rencontré un serrurier qui m’a hébergé et nourri. On a passé une semaine ensemble et je l’ai accompagné en silence à son travail à travers les banlieues de la ville. De porte en porte, j’ai découvert des univers si intimes de manière aléatoire, tous introduits par les clefs, leur absence et le geste d’ouvrir. J’ai trouvé le processus évocateur, filmique.
Puis un peu plus tard de retour dans l’Ouest, il y a eu la découverte de Winter de Sergey Kuryokhin, un compositeur né à Murmansk. Quand je l’ai entendue pour la première fois j’ai vu les tours de la ville s’écrouler sous un soleil artificiel, une image terrible et merveilleuse. Ce fut le carburant du projet.
Sun Dog oscille constamment entre réalisme et onirisme, sans basculer totalement d’un côté ou de l’autre. En fait, il semble toujours en décalage, comme un pas de côté. Vos choix de mise en scène renforce ce sentiment en faisant de votre caméra un personnage hébété, à la vision et à l’audition à la fois trouble et perçante, qui semble descendre du ciel pour rencontrer ce serrurier. Que représente pour vous ces choix ? Quelles étaient vos intentions ?
La caméra de Sun Dog doit pouvoir incarner le regard étranger, le spectateur, mais aussi l’intermédiaire, le passeur qui en sait d’avantage que le passager. Il fallait une présence ni humaine, ni machine. On a donc recréé un mouvement humain à partir de machines ; des tremblements aléatoires imprimés dans des images stables.
Le film est impressionnant à l’image mais également au son. On imagine un travail important à la post-production. Pouvez-vous nous parler de cette étape ?
Les idées directrices du son étaient de transformer la ville en machine rouillée, suintante, de refaire les voix en se laissant guider par la musique générale plutôt que par le sens ou l’intention et d’éviter les fonds d’air, les drones ou les sons « complets ».
Thomas Becka, l’ingénieur du son, est venu du Mexique pour notre post-production. J’étais la seule personne qu’il connaissait à Gand, la ville de l’école où on réalisait le projet, et cela a permis de le séquestrer aussi longtemps que nécessaire (ou presque).
Nous avions nos sacs de couchage cachés derrière le grand écran et j’avais volé la carte magnétique d’accès au studio.
Nous avons donc pu travailler pendant deux mois à un rythme insupportable et ainsi recréer chaque son du film à partir de bruitage maison ou même de rien du tout (comme le train que Thomas a fait en manipulant du bruit blanc).
J’ai senti mes sens se transformer pendant le processus et j’ai atteint des états indescriptibles. Cela fut certainement l’étape la plus passionnante du projet.
J’en profite pour remercier Thomas une nouvelle fois ainsi que Julie Daems dont l’imagination sonore nous a ouvert de nombreuses portes. Sans oublier notre mixeur, Raf Enckels, qui s’est lui aussi énormément investi lors de nos nombreuses sessions de mix, Thomas Noël et Daniels Goldsmits.
Quels sont vos projets actuellement ?
Je travaille actuellement sur Loynes, un projet qui s’articule en trois pièces ; une installation vidéo, un court-métrage et un long.
Les trois projets se basent sur l’idée du procès d’un personnage symbole, une entité fantasmée par l’assemblée qui juge au point d’en devenir son miroir.
L’idée m’a été inspirée par le concile cadavérique, le procès d’un pape ayant eu lieu des années après sa mort, en présence de sa dépouille habillée des habits papaux.
La première partie, l’installation, est en cours de finition au Fresnoy et devrait être visible dès la fin de l’été.
Les informations sur ces projets seront publiées sur la page Facebook de Scum Pictures et sur mon compte IG.