L’ENFANT DU MÉTRO (THE CHILD OF THE SUBWAY)
FICTION / FRANCE / 2020 / 13 min
Noyé dans la foule parisienne, il y a un garçon d’une vingtaine d’années. Il est un peu pickpocket. Il est surtout très seul. Il n’est personne dans cette foule et personne ne le regarde. Pourtant, si on l’observe le temps d’une journée, on trouve au sein de son errance des petites aventures, des chamboulements et des rêves…
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INTERVIEW DE NATHAN LE GRACIET
Pouvez-vous nous parler de votre parcours jusqu’à la realisation de L’enfant du metro ? Comment ce film est-il ne en vous ? Quel en a ete son point de depart ?
J’avais déjà réalisé plusieurs films auto-produits quand je suis arrivé à Paris. J’arrivais avec une envie un petit peu adolescente (donc forte et naïve) de réaliser quelque chose de plus sérieux en profitant du décor. C’était au départ un film plus long, et il m’a fallu ensuite beaucoup de temps pour le ramener à ma mesure de réalisateur débutant. Mais je ne regrette pas tout ce travail, car il aura été pour moi l’apothéose d’une école autodidacte pour laquelle j’ai beaucoup de gratitude.
Le point de départ de L’enfant du métro c’est donc d’abord Paris, le Paris que j’ai rencontré. En arrivant j’avais peu d’argent et, grâce à une connexion avec ma famille, j’ai passé plusieurs semaines chez des religieux le temps de me trouver un logement. Mon quotidien était riche en impressions fortes et contradictoires. La bienveillance, le calme et le solennel le soir et le matin ; et entre les deux la folie, le mouvement et le bruit de Paris. Dans un premier temps, l’envie de cinéma est née de ma prise de conscience progressive que j’avais là sous les yeux la ville monstrueuse de mes grands modèles new-yorkais.
Au fil des mois, tout en continuant de m’étonner, la ville m’a étouffé. Et puis énervé je dois l’avouer. Aux grands modèles des années 70 s’est ajouté cette colère, et l’envie de montrer Paris comme je le voyais : une machine absurde. L’idée du film est arrivée et j’ai tourné très vite, avec l’aide informelle d’un jeune producteur (Jonathan Lester), quasiment sur un coup de tête et certainement poussé par ce même mouvement que je trouvais si absurde autour de moi.
Si le point de départ concret était Paris, je crois que le fond du problème était tout autre. Au fil d’un labeur démesuré, j’ai fini par réaliser que si ce projet était complexe pour moi, c’était parce qu’il racontait un passage complexe de ma vie. Le personnage, c’est celui que j’ai laissé derrière moi en faisant ce film. Pendant plusieurs années, en y travaillant petit à petit, je ne comprenais pas L’enfant du métro… Et pourtant depuis les tout premiers jours de son existence il portait déjà ce titre!
Le film semble prendre racine dans le cinéma américain et plus précisement new-yorkais. Vous citez Scorsese à la fin du film mais on peut penser aussi aux frères Safdie. Vous pouvez nous parler de l’influence de ce cinéma dans votre travail ?
Comme tout film réalisé par quelqu’un de très jeune, L’enfant du métro est le résultat d’une énorme mosaïque d’envies de cinéma. Mais, avec le recul, je vois que ce sont surtout deux grands mouvements américains qui se sont croisés pour donner naissance à son petit langage.
Le cinéma des années 70 et les longues focales dans New York bien sûr. C’est une période de l’histoire du cinéma qui me touche et m’impressionne. Ses films très urbains tout comme ceux de Cimino, Malick et Coppola d’ailleurs. Mais à Paris, il ne pouvait être question que de la rue… Je n’avais que ça en tête : je voulais qu’on sente le bitume et la foule. Il y avait le travail si précieux de Scorsese bien sûr, mais aussi les premiers films de Friedkin et Schatzberg. Je suis impressionné par cette image si riche, par cette conscience si belle de la machine en marche alors qu’on observe des petits humains. C’était quasi-impossible de tenir la barre de ce cinéma-là sans moyens, en trimballant ma maturité de l’époque et des caméras numériques dans Paris. Du coup je pense que c’est une ambition de L’enfant du métro que j’ai surtout mise en lumière au montage.
À ce cinéma classique s’est ajouté le très beau cinéma américain indépendant. C’était la fin d’une période incroyable de Sundance, qui m’avait donné l’envie de réfléchir à une mise en scène qui ne cherche pas forcément à contourner le manque de moyens. Je crois que c’est là que j’ai le plus puisé mon comportement sur le tournage. Dans ces expérimentations de montage et ces nouveaux mouvements organiques. Benh Zeitlin m’avait beaucoup touché à l’époque.
Les frères Safdies, bien sûr, étaient au croisement des deux mouvements et m’ont beaucoup aidés. À l’époque, ils étaient parmi mes cinéastes contemporains préférés. J’avais été scotché notamment par Mad Love in New York.
Comment s’est déroulé le tournage ? Je trouve que vous arrivez à filmer Paris, son métro et ses rues comme les américains le font justement de New-York. C’est-à-dire que vous arrivez à faire de votre personnage une personne incarnée dans la ville par la fiction et non le documentaire.
Il nous a fallu imaginer un dispositif minuscule pour pouvoir tourner au cœur de la foule et de l’agitation, sans budget et sans autorisation. En général nous étions deux, parfois trois. Ç’aurait été impossible autrement je crois. Nous avons tout de suite abandonné le son. Sur 80% des plans nous ne l’avons pas tourné. Nous l’avons fait parce que c’était impossible à gérer sur les boulevards et dans le métro, mais j’étais en vérité content de cette contrainte parce qu’elle allait me forcer à recouvrir de vacarme tout le film, et je sentais déjà que je voulais maîtriser totalement ce vacarme qui racontait si fort Paris.
J’ai aussi très vite compris que j’allais devoir diviser le travail en plusieurs tournages. D’abord à l’époque j’essayais de construire un film plus long que je ne pouvais pas me permettre de tourner d’un seul coup. Ensuite je pouvais ainsi diviser le travail entre certaines choses à tourner à Paris, et d’autres à Montpellier, où le travail dans la ville était moins difficile. À nouveau c’était une contrainte riche parce qu’elle me plaçait dans une réelle position de recherche, dans laquelle je pouvais préciser mes besoins de matière au fil du montage-tournage.
Au vu du manque de moyens, j’ai utilisé lors de ces différents tournages plusieurs caméras : nous embarquions tout ce que nous pouvions trouver! Mais là aussi j’étais secrètement très content de cette pseudo-contrainte, parce que je savais que je cherchais des impressions trop différentes dans un décor trop riche pour pouvoir m’en sortir avec un seul type de caméra. La plupart des plans larges et des plans serrés d’une même scène par exemple ne sont pas tournés avec la même caméra. Il y a dans L’enfant du métro 4 types d’images numériques, du mini DV et des chutes de 8, S8 et 16mm.
Le son et le montage sont remarquables. Je pense à l’enchainement argent-kebab-pigeon par exemple, ou la manière dont vous arrivez à construire au son une ville semblant englober le personnage. Comment travaillez-vous au montage par rapport au scenario ? Si on reprend l’exemple argent-kebab-pigeon, est-ce une idée de montage ou de scenario ? Aussi, quelles étaient vos intentions sonores ?
Merci beaucoup! L’enchaînement argent-kebab est une idée de scénario mais les pigeons qui permettent de maintenir le mouvement de la ville entre ces deux gros plans sont une idée de montage. Sur ce film, j’ai surtout amassé beaucoup de matière. Ce genre d’idées de mouvements, j’en ai donc tenté beaucoup et quelques-unes ont fonctionné. Au fil des tournages je comprenais de mieux en mieux les types de mouvements dont j’avais besoin pour retranscrire Paris, et j’allais à la pêche à des choses de plus en plus précises. À la fin c’était absurde tellement c’était précis, je passais une journée à chercher un type de mouvement de pigeon ou de métro.
Je crois me souvenir que c’est un film qui a réellement trouvé son identité visuelle au fil des tournages, petit à petit. Par contre mes intentions sonores étaient depuis le début très précises. Cette sensation d’être englobé par la ville (je suis content que vous le formuliez) était très importante pour moi et j’y ai beaucoup travaillé. J’apprécie toujours énormément le travail sur le son. Paradoxalement comme je l’ai dit il avait été totalement abandonné au tournage. Ça a donc été un énorme travail de doublage ensuite, long mais enthousiasmant parce que j’avais une maîtrise absolue sur la musique de la ville.
Vous endossez plusieurs casquettes sur le film (image, son, comédien, monteur…). Pour quelles raisons ? Quel avantage en tirez-vous ?
C’est la meilleure manière d’apprendre qui existe j’imagine. Je le fais aussi parce que j’aime bien tout ça ! J’aime bien jouer, j’adore le son et l’image. Je viens du dessin à la base, et c’est compliqué pour moi d’accepter de créer quelque chose sans avoir l’impression de mettre mes mains dans la matière du début à la fin. À chaque étape du film, j’ai la sensation que son identité se joue là et je ne veux pas le lâcher. J’essaie d’apprendre à déléguer mais je suis content de garder ça aussi dans ma manière de travailler.
Par ailleurs, sur L’enfant du métro comme sur beaucoup de mes films précédents, j’en ai tout simplement tiré l’avantage que ça rendait le film faisable. J’ai par exemple décidé de jouer dedans parce que j’étais certain de pouvoir être présent à chaque tournage, ce qui n’aurait pas été le cas d’un autre acteur. Et puis la chaîne de post-production était brisée, ce n’était pas un film qui pouvait se faire « dans l’ordre ». Je devais étalonner au fur et à mesure pour vérifier que les images des différentes caméras fonctionnaient ensemble, et je devais fabriquer le son au fur et à mesure pour m’assurer que la musique du montage fonctionnait et n’était pas un fantasme.
Quels sont vos projets actuellement ?
Je travaille beaucoup en scénario dernièrement, et j’ai de la gratitude pour cette opportunité. Je suis co-auteur sur trois long-métrages et puis, dans les trous, j’essaie d’écrire aussi pour moi ! Je vais travailler comme directeur artistique sur un long, peut-être deux qui vont se tourner l’année scolaire prochaine. Et puis je joue aussi. Ces nouvelles possibilités d’apprendre, je les dois en partie à L’enfant du métro.
Mais surtout, quand le temps me le permet, je termine la post-production d’un autre court. C’est un film de 15 minutes que j’ai tourné en Bretagne et dans lequel jouent des membres de ma famille. C’est un film qui est très différent de L’enfant du métro, avec une caméra fixe et une construction de scénario plus classique. J’ai l’impression que L’enfant du métro est limité par sa forme, celui-là aussi peut-être, mais je cherche. Il doit bien y avoir un équilibre quelque part entre les deux. Mon projet actuellement, c’est de chercher l’équilibre !